CENSURE : POUR VINCENT BOLLORÉ, LE DOCUMENTAIRE D'ENQUÈTE N'A PLUS SA PLACE À CANAL+
Quelques semaines après l'affaire des "Guignols", Mediapart nous apprend que le nouveau patron de Canal Plus n'en était alors pas à son premier fait d'armes. En mai, Vincent Bolloré aurait censuré un documentaire mettant en cause le Crédit mutuel, une enquête qui sera finalement diffusée à la rentrée sur France 3. Geoffrey Livolsi a co-réalisé le film. Il raconte.
La censure de notre documentaire par Vincent Bolloré est totalement inédite et très révélatrice de ce qui va se passer dorénavant sur Canal Plus. Jean-Pierre Canet et Nicolas Vescovacci, les journalistes de KM Productions avec lesquels j’ai collaboré pour cette enquête, n’avaient jamais vu ça. Et pourtant, tous deux travaillent pour la chaîne et dans la télévision depuis de longues années.
Un partenariat entre Canal et Mediapart
Quand KM Productions m’a contacté, je travaillais depuis plus d’un an sur le Crédit Mutuel et sa filiale Pasche, pour Mediapart. Le souhait de la boîte de production était de nouer un partenariat entre le site d’investigation et la chaîne Canal Plus pour sortir les informations que nous allions diffuser sur les deux médias le même jour, soit le 18 mai 2015.
J’ai donc débuté cette collaboration avec KM début avril. L’idée était de diffuser le film très vite, nous savions que le sujet était sensible et qu’il ne fallait pas traîner.
En travaillant sur l’enquête ouverte contre la banque Pasche – filiale du Crédit Mutuel-CIC – pour "démarchage illicite" et "blanchiment de fraude fiscale aggravée", nous avons rapidement pu réunir de nouveaux éléments très intéressants et des témoignages inédits.
Durant notre tournage, tout a suivi le cours normal d’un documentaire. Pour les équipes de KM, comme celles de "Spécial Investigation" de Canal Plus. Tout suivait son cours comme pour n’importe quel travail documentaire.
D’abord, des rumeurs
Ce n’est que deux semaines avant la diffusion du documentaire, lorsqu’il était prêt, mixé, terminé, que nous avons eu connaissance de certaines informations inquiétantes. Il était question d’une potentielle censure. Le film a été brutalement déprogrammé sans qu’aucune date de diffusion ne soit fixée.
Apparemment, le documentaire posait problème, non pas à Canal Plus – car Rodolphe Belmer l’avait validé – mais à l’actionnaire principal : Vincent Bolloré. Celui-ci aurait directement fait pression sur le directeur de Canal Plus pour que notre film ne soit pas diffusé.
De tout cela, nous n’avons pas été informés. C’était en plein festival de Cannes et la direction de la chaîne était là-bas. On nous a donné aucune raison concernant le changement de calendrier, mais on ne nous a pas non plus donné d’explications éditoriales.
Nous avons toutefois poursuivi le processus avec une hypothétique date de diffusion en juin. La procédure interne a donc continué normalement et le service juridique de Canal est venu dans les locaux de KM pour valider le film. Ce qui n’a posé aucun problème.
Un coup de fil déterminant
Ce n’est que lorsque Renaud Le Van Kim a contacté Rodolphe Belmer pour lui dire que le film était prêt, qu’il s’est vu signifier que cela ne servait à rien. Le film ne serait pas diffusé en juin. Ni jamais sur Canal Plus.
Nous avons alors appris de sources concordantes que Michel Lucas, patron du Crédit mutuel, avait lui-même passé un coup de fil à son ami Vincent Bolloré, avec qui il entretient des liens économiques très fort. Le film a donc été censuré par l’actionnaire, purement et simplement. Personne ne nous a donné d’explications. C’est du jamais vu.
Notre objectif ? Sauver le film
À ce moment-là, Renaud Le Van Kim, Jean-Pierre Canet, Nicolas Vescovacci et moi, nous n’avions plus qu’un objectif : libérer le documentaire des mains de Canal Plus pour pouvoir le diffuser ailleurs.
Je n’avais jamais travaillé avec KM Productions, mais je dois dire qu’ils ont été très réglo. Tout le monde a œuvré pour que le film puisse être vendu à une autre chaîne, ce qui fut le cas, puisque le documentaire est programmé en octobre sur France 3, dans "Pièces à Conviction".
C’est d’ailleurs pour cette raison que nous n’avons pas communiqué plus tôt. Le contexte n’était pas favorable, il fallait à tout pris protéger le contenu de l’enquête. Et permettre à Fabrice Arfi d’enquêter sur les raisons occultes de cette censure.
Quand KM a revendu le film à France 3, ils ont tout de suite expliqué ce qu’il s’était passé. L’affaire des "Guignols" n’était pas encore sortie, mais ils ont été très ouverts et ont bien compris que le documentaire contenait des révélations. Ils ont donc décidé de reprendre le film et nous ont même donné du temps d’antenne en plus.
Une fois que le film a été programmé par France 3 pour octobre, on a décidé de sortir l’affaire.
Les "Guignols", c’était l’acte 2
Ces quelques mois nous ont permis de prendre un peu de recul et d’analyser la situation : celle de la reprise en main de Bolloré de la ligne éditoriale et de l’information sur Canal Plus. Mise en perspective, on se rend compte la censure de notre documentaire a été l’acte 1, et vient appuyer la thèse que Bolloré a bien cherché à faire taire les "Guignols".
Ce qui inquiète, c’est la capacité de nuisance des intérêts économiques sur l’information dans les médias privés. Une pression qui se fait de plus en plus forte, la directive "secret des affaires" qui vise à protéger les entreprises des fuites dans la presse de leurs agissements, en est l’exemple. Les chaînes du service public ne devraient pas être les seules à porter l’investigation.
Il faut le dire aussi fort que le collectif du même nom, informer n’est pas un délit !
Ici, nous avons fait face à la puissance de feu du Crédit Mutuel qui tente depuis plus d’un an d’étouffer ce scandale, et à l’ingérence d’un actionnaire qui n’aime pas l’investigation.
Notre affaire vient illustrer la façon dont Bolloré va diriger Canal Plus dans les prochaines années. En reprenant en main la ligne éditoriale, l’actionnaire de la chaîne envoie un message très clair : l’enquête n’y a plus sa place.
SOURCE : L'OBS
A découvrir aussi
- MARRAKECH NE DORT JAMAIS !
- CHANDRA DANGI, L'HOMME LE PLUS PETIT DU MONDE EST MORT
- PÉTITION - "NI LE DIVERTISSEMENT, NI LA CULTURE NE PEUVENT EXCUSER LA CRUAUTÉ ENVERS LES ANIMAUX"
Retour aux articles de la catégorie INFORMATIONS DIVERSES -
⨯
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 202 autres membres