Des mesures fines effectuées avec Hubble, qui montrent une accélération de l'expansion trop forte, jettent un doute sur le modèle cosmologique standard. Peut-être faut-il réviser nos idées sur l'énergie noire, dont l'un des découvreurs, le prix Nobel de physique Adam Riess, fait partie de l'équipe qui présente cette étude. Varie-t-elle dans le temps ? Ou bien doit-on donner du poids à l'hypothèse des neutrinos stériles ? L'astrophysicien Alain Blanchard nous donne son avis.
La nature de l’
énergie noire, que l’on peut décrire en ajoutant aux
équations de la
relativité générale un terme baptisé «
constante cosmologique », fascine probablement plus les théoriciens que celle de la matière noire. C’est d’elle que dépend le destin ultime de notre
univers observable parce que c’est elle qui contrôle son expansion.
L’hypothèse la plus naturelle, peut-être la plus économe, consiste à l’interpréter comme la manifestation de l’état d’énergie minimale des champs de matières et de forces quantiques. Elle se
comporte
alors comme une vraie constante dans les équations d’
Einstein, ce qui veut dire que sa valeur ne devrait pas changer dans l’espace ni dans le temps. Si tel est le cas, l’univers devrait continuer son expansion accélérée à tout jamais et, d’ici
3.000 milliards d’années, il sera méconnaissable. Ce ne sera peut-être pas sa fin si l’on croit à la théorie de la
cosmologie conforme cyclique proposée par
Roger Penrose.
Mais si l’
énergie noire est la manifestation d’une nouvelle physique, avec par exemple un ou plusieurs champs scalaires variables, sa valeur peut évoluer dans le temps et peut-être dans l’espace. Il se peut alors que l’expansion se change en contraction et que le cosmos observable finisse par un
Big Crunch, et éventuellement que celui-ci s’accompagne d’un rebond pour une nouvelle phase d’expansion
La constante de Hubble dépend de la nature de l'énergie noire
Or, plusieurs modèles dans lesquels l’énergie noire est variable prédisent que la fameuse
constante de Hubble, qui est en quelque sorte une mesure de la vitesse d’expansion de l’univers, doit elle-même varier selon des lois précises, reflétant la nature de l’énergie noire. Cette constante ne l’était d’ailleurs pas vraiment, même en l’absence d’une constante cosmologique, mais c’est en mesurant ses variations dans le temps à l’aide des supernovae que
Saul Perlmutter, Adam Riess et Brian Schmidt ont découvert avec leurs collègues la fameuse expansion accélérée de l’univers, et donc la présence de l’énergie noire.
Pour faire le tri entre toutes les lois possibles d’évolution dans le temps de la
constante de Hubble, et donc les modèles admissibles d’énergie noire, il faut pouvoir mesurer précisément cette constante. C’est à cette tâche que s’est attelé Adam Riess. Le prix Nobel de physique a pour cela utilisé le
télescope Hubble et, comme il l’explique avec ses collègues dans un article déposé sur
arXiv, il est tombé sur une énigme.
Une accélération anormalement élevée de l'expansion de l'univers
Rappelons qu’en
astrophysique, plus précisément en cosmologie, les échelles de distance sont déterminées à l’aide d’une série de méthodes qui prennent appui les unes sur les autres, de sorte que les différentes erreurs de mesures s’additionnent quand les distances des
astres considérés augmentent. On utilise notamment des
étoiles variables, les
Céphéides, pour déterminer les distances des
galaxies les plus proches. Cela permet d’étalonner en particulier d'autres « chandelles standards », en l’occurrence, des supernovae SN Ia. Très lumineuses, elles sont visibles à des milliards d’années-lumière. Ces explosions gigantesques sont censées avoir à peu près toutes la même puissance. Par conséquent, moins elles apparaissent lumineuses, plus elles sont loin. En mesurant les
luminosités apparentes de plusieurs SN Ia, on a donc déterminé des distances. Leur décalage spectral vers le rouge indique la date de leur occurrence dans l’histoire de l’univers. Des mesures de date et de distance, cela nous donne des vitesses et, finalement, des changements de vitesses, c'est-à-dire des accélérations.
Les cosmologistes viennent d’affiner les mesures de distances de
Céphéides dans des galaxies où ils ont observé des SN Ia. En complétant par d’autres mesures, ils ont alors pu déterminer de façon un peu plus précise la constante de Hubble. Les chercheurs n’ont plus qu’une erreur de 2,4 % sur sa valeur alors qu’elle était de 3,3 % il y a encore quelques années. L’amélioration semble faible mais elle suffit déjà pour mettre en évidence, à défaut de vraiment prouver, une accélération anormalement élevée de l’expansion de l’univers, non prédite à partir des analyses actuelles du
rayonnement fossile observé par
Planck dans le cadre du
modèle cosmologique standard.
Les analyses des données de Planck semblent robustes. Donc, à moins d’un biais systématique quelconque dans les mesures réalisées par Riess et ses collègues (par exemple des chandelles standards qui ne le seraient pas), les données de Planck sont en désaccord avec celles de Hubble. Pour les accorder, il faudrait modifier le modèle cosmologique standard, c'est-à-dire nos idées sur l’énergie noire ou la matière noire. Jusqu’à aujourd’hui, les observations semblaient indiquer que l’énergie noire était bien décrite par une vraie constante cosmologique. Peut-être n’est ce pas le cas...
Une autre possibilité est qu’il existe une quatrième famille de
neutrinos dans l’univers. Des
neutrinos massifs dit stériles sont proposés depuis un certain temps comme des candidats crédibles au titre de particules de matière noire. Les données de Planck ne sont cependant pas très favorables à cette hypothèse, bien qu’elles ne puissent pas l’exclure selon les chercheurs. Dans tout les cas de figure, si cette accélération anormale existe vraiment, elle pointe vers de la nouvelle physique.
Alain Blanchard est un célèbre cosmologiste français.
Membre de l'Institut universitaire de France, il est
aussi professeur à l'université Paul Sabatier. Ses
travaux concernent les amas de galaxies, le
rayonnement fossile et la formation des structures
en cosmologie.
Erreurs de mesure ou bien neutrinos stériles ?
L’année dernière, le cosmologiste Alain Blanchard nous avait expliqué que le catalogue des amas de galaxies dressé grâce aux observations de Planck entrait peut-être déjà en contradiction avec le modèle cosmologique standard. Pour lui, « c'est un des rares résultats de Planck qui pose question. Soit les masses des amas ont été correctement estimées par les observateurs et alors il faut revoir le modèle standard, par exemple en ajoutant des neutrinos massifs, soit les masses sont plus grandes et tout rentre dans l'ordre. Il y a donc deux tendances chez les cosmologistes : ceux qui ont confiance dans les estimations antérieures de masse des amas et qui sont prêts à revoir le modèle (la publication XX de la collaboration Planck en 2013 est un peu dans cet esprit) et ceux qui croient au modèle standard, pensant qu'il faut revoir les estimations de masse des amas (ce qui est l'esprit de la publication Planck 2013 XVI) ».
Contacté par Futura-Sciences, Alain Blanchard confirme qu’effectivement : « soit on croit aux mesures de la constante de Hubble par Riess, et aux mesures de Planck, et alors on a le signe d'une nouvelle physique, soit il y a une des données qui est un peu biaisée... Moi et mes collègues avions été confrontés au même problème avec l'abondance des amas de Planck, une situation que nous avions en fait déjà rencontrée (et titrée !) il y a une dizaine d'années, mais nous n’avions pas bénéficié de la publicité d'un prix Nobel... ».Pour le chercheur, cette problématique, nouvelle physique ou biais dans les analyses, va probablement être très présente en cosmologie dans les années à venir.
SOURCE : Futura Sciences 15.04.2016