LA FRANCE, PARADIS DES ACTIONNAIRES, ENFER DES INDUSTRIELS
Les groupes du CAC 40 distribuent des dividendes records, mais le commerce extérieur de l’Hexagone s’effondre. Une explication : la préférence du capitalisme français pour les profits contre l’investissement, de la finance contre l’industrie. Un débat qui devrait être au centre de l’élection présidentielle.
La France est décidément le pays du capitalisme paradoxal. Comment considérer autrement un Etat dont les entreprises gavent leurs propriétaires de revenus, mais qui accepte néanmoins de s’appauvrir chaque année davantage, et dont les élites politiques ne voient d’autre avenir que de s’enfoncer encore plus dans la dépression ? Démonstration en remontant le temps, avec trois informations, parues successivement cette semaine.
Vendredi 10 mars : la fête aux actionnaires
Ce matin là, les Echos, journal officiel du capitalisme français, titrent L’éclatante santé des stars du CAC. Il y aurait de quoi sonner de la trompette puisque « leurs bénéfices ont dépassé les 75 milliards d’euros l’an passé, un record depuis 2010. » On célébrera ainsi les magnifiques « performances » des BNP-Paribas avec ses 7,7 milliards de profits réalisés en 2016, suivis d’AXA à 5,8 milliards et de Total à 5,6 milliards. Cocorico, donc. Disons-le avec au moins un bémol, car si les résultats sont en hausse de 32,6% par rapport à 2015, nos confrères ne s’appesantissent guère sur un autre indicateur pourtant majeur : la croissance du chiffre d’affaires. Et on comprend pourquoi quand on lit dans un graphique qu’elle est… nulle ! Ce qui signifie que les plus belles entreprises de France ont réussi l’exploit d’une expansion zéro, alors que la croissance revenait dans le pays (1,1%) et encore plus en Europe (+1,6%). Faut-il vraiment crier : chapeau les artistes !
Mais sans doute certains lecteurs des Echos auront-ils remarqué page 28 un petit article en colonne intitulé Année faste pour les dividendes, où l’on apprend que selon les calculs du cabinet Ricol Lasteyrie, la rémunération des actionnaires du CAC 4O distribuée cette année au titre des résultats de 2016 devrait augmenter en médiane de 5,3%. L’an passé, les grands groupes du CAC avaient déjà réparti pas moins de 46 milliards d’euros
Cette année 48,3 milliards d’euros devraient tomber dans la poche des actionnaires. La France serait à nouveau le pays de la zone euro qui distribue le plus de dividendes, devant l’Allemagne. Faut-il à nouveau faire chanter le coq ? Les explications des analystes sont quelques fois confondantes : en 2015, il fallait distribuer beaucoup pour compenser la chute des revenus des groupes venant de la zone dollar, puisque le billet vert avait nettement baissé, puis, en 2016, il a fallu rassurer les investisseurs, inquiets … de la baisse de l’euro !
Jeudi 9 mars : le déficit record
La veille, les mêmes Echos avaient titré sur une note bien plus grave : Commerce extérieur, l’état d’urgence. En janvier, explique le journal, « le défcit extérieur a atteint 7,9 milliard d’euros » et souligne qu’il s’agit « du pire résultat jamais enregistré par l’Hexagone ». Après une année horrible qui a vu le commerce extérieur français plonger de 48 milliards d’euros, il y a bien de quoi faire résonner les sirènes d’alarme. Le détail n’est pas plus encourageant : la France accuse un « trou » de 30 milliards vis-à-vis de la Chine et de 15 milliards vis-à-vis de l’Allemagne. Les produits français seraient en quelque sorte pris en tenaille par le bas de gamme asiatique et le haut de gamme germanique ! Aure pince mortifère : la remontée des prix du pétrole et donc des importations, alors que la compétitivité des produits français, qu’ils soient de l’industrie ou des services, ne s’amélioreraient guère.
Mercredi 8 mars : la désindustrialisation révélée
Etrangement, les Echos ne font pas mention d’une étude de l’Insee intitulée L’industrie manufacturière en Europe de 1995 à 2015, qui révèle l’effondrement généralisé de l’industrie en vingt ans, presque une éradication de la surface de l’UE, puisque sa part du PIB est passée en moyenne de 19,6% à 15,9%. Avec des cas bien plus graves, comme celui de la France où la part de la manufacture (production de biens, hors énergie) dans la production de richesse est désormais de 11,2% seulement. Le Royaume-Uni (hors zone euro) faisant pire avec 9,8% ! Un pays maintient son industrie fièrement à 22,8% du PIB, c’est l‘Allemagne, qui est, comme on le sait, la championne du monde des excédents ! Explication de l’Insee : « En France, le repli est principalement dû à celui des prix manufacturiers, permis par des gains de productivité élevés et plus rapides dans l’industrie manufacturière que dans le reste de l’économie ». En clair, les choix internes de la société française ont été de sacrifier ses ouvriers au profit des autres secteurs de la société. On trouve là la trace statistique de la préférence des élites françaises pour les services, surtout financiers. Car, l’industrie, non seulement c’est sale et fatigant, mais cela ne produit pas souvent des profits à deux chiffres comme la banque dérégulée.
La leçon française
A regarder ces trois « nouvelles » ensemble, on peut tirer la leçon suivante : en vingt années de persévérance dans l‘erreur, passées à sacrifier des usines et des emplois tricolores sur l’autel de l’ouverture des marchés, on constate aujourd’hui le résultat : pendant que le pays subit une véritable hémorragie commerciale, des grands groupes financiers se sont eux aussi tournés vers la conquête du monde. Ces « champions français », souvent bien à l’abri derrière l’Etat français (est-ce un hasard si les trois premiers distributeurs de dividendes sont une banque, un assureur et une compagnie pétrolière ?), ont réussi à donner le tempo aux autres secteurs de l’économie, notamment en matière d’exigence de rentabilité du capital qui, seule, permet de servir des dividendes records aux actionnaires. En bonne logique, les groupes industriels ont eu du mal à suivre ces exigences, et ont donc sous-investi, augmentant chaque année leur retard. C’est comme ça qu’on explique que la France compte moins de robots dans ses usines que l’Allemagne ou l’Italie, et que l’Etat doive venir soutenir un groupe comme PSA. Un coût du capital bien trop élevé, c’est un point commun avec les Britanniques et une différence notable avec l’Allemagne. Voici donc le paradoxe français : être à la fois à un paradis pour les actionnaires et un enfer pour les industriels !
Un vrai débat pour la présidentielle ?
L’élection présidentielle pourrait être le moment d’un débat sur ce drôle de « modèle français ». Par exemple sur l’efficacité du pacte de compétitivité : 40 milliards d’argent public auront été distribués pour parvenir à un record de déficit du commerce extérieur du pays. Faut-il crier au génie de ceux qui ont conçu cette politique ? Faut-il persévérer voire accélérer dans cette voie ? Par exemple, faut-il encore servir aux banques plus de 300 millions d’euros de CICE ? Faut-il vraiment réduire l’impôt sur les grandes sociétés au risque de voir encore davantage l’argent aller vers les actionnaires (dont la moitié sont hors du pays) ? Faut-il enfin protéger un peu le peu d’industrie qu'il nous reste ou faut-il s’abstenir des défendre « les anciens emplois » ? Toutes questions à adresser aux candidats avant le 23 avril…
SOURCE : Marianne 12.03.2017
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