ORIGINE DE LA VIE : L'ÉNIGME DE LA CHIRALITÉ SOUS LA LUMIÈRE DE L'INSTRUMENT SOLEIL
Un groupe de chercheurs français vient de faire une percée significative dans le domaine de l'exobiologie. Leurs expériences menées avec le synchrotron Soleil apportent une lumière nouvelle sur l'énigme de l'homochiralité du vivant et donc l'origine de la vie.
Dans un de ses ouvrages les plus célèbres écrit il y a presque 50 ans, L'univers ambidextre, Martin Gardner exposait au grand public un problème qui intrigue toujours les biologistes et les exobiologistes. Pourquoi les molécules employées par tous les êtres vivants de la Terre sont-elles toujours d'un même type de chiralité, alors que les réactions de synthèses chimiques ne font généralement pas la différence, produisant les deux types possibles ? C'est le fameux problème de l'homochiralité.
Sous ce terme technique se cache un problème très concret et facile à comprendre : les mains sont l'image l'une de l'autre dans un miroir mais il est impossible de les superposer. On ne peut pas enfiler le gant de la main droite avec la main gauche et réciproquement... De la même manière, une molécule carbonée simple (comme celle d'un acide aminé ou d'un sucre) peut exister sous deux formes, images l'une de l'autre dans un miroir, dites droite et gauche. Lorsqu'une telle symétrie est possible, on parle de molécules chirales (chiral dérive du mot grec χειρ, signifiant main).
Or, comme on l'a dit, les réactions chimiques habituelles ne font pas la différence entre les deux formes chirales. Pourtant, la vie terrestre n'utilise qu'une de ces formes. Les acides aminés, constituant les protéines, n'existent que sous la forme L, et les sucres, par exemple présents dans l'ADN, sont eux uniquement de forme D.
Rappelons qu'en chimie, une molécule lévogyre (« qui tourne à gauche », du latin laevus, gauche) a la propriété de faire dévier le plan de polarisation de la lumière polarisée vers la gauche d'un observateur qui reçoit la lumière. Plus précisément, l'observateur en question voit le plan tourner dans le sens contraire à celui des aiguilles d'une montre.
Insistons sur le fait que la nomenclature L et D, dérivée de la molécule d'un sucre, le glycéraldéhyde, également appelée glycérose, qui est effectivement lévogyre pour sa forme L et dextrogyre pour sa forme D, ne signifie pas toujours qu'une molécule est lévogyre quand elle est de type L et inversement. Pour éviter cette méprise courante, on note aujourd'hui (+) les molécules dextrogyres et (-) les molécules lévogyres.
Déterminisme ou accident historique ?
À quoi est due cette asymétrie moléculaire dans les formes vivantes ? Faut-il faire intervenir un accident historique au cours de l'évolution ayant fait privilégier certaines molécules chirales aux dépens d'autres ? Ou bien existerait-il d'autres raisons, plus fondamentales, relevant de la physique même des molécules biologiques et des cellules vivantes, imposant cette asymétrie
Depuis quelque temps, les exobiologistes et autres cosmochimistes ou astrochimistes tentaient de relier l'homochiralité à des conditions prébiotiques, c'est-à-dire avant l'apparition de la vie sur Terre. Plus précisément, la réponse à cette question devait probablement être cherchée dans les conditions physicochimiques des nuages interstellaires et de la nébuleuse protosolaire. En effet, les études plus fines de météorites comme celle de Murchison (qui nous donne aussi des aperçus sur l'origine possible de l'ARN) montraient que certains acides aminés existaient bel et bien en excès sous une forme L.
On en déduisait donc que la synthèse des acides aminés et sucres dans la glace enrobant les grains de poussières présents dans les nuages, sous l'influence des rayonnements ultraviolets polarisés des pouponnières d'étoiles de ces nuages, s'était produite en privilégiant certaines formes chirales.
Agglomérées dans les comètes et les météorites tombant dans les océans de la Terre primitive, ces poussières auraient ensemencé notre planète et auraient fait pencher la balance en faveur des formes de vie basées sur l'homochiralité observée.
À l'appui de ce scénario, des expériences utilisant des rayons X, il y a quelques années, étaient plutôt encourageantes. Mais elles restaient assez éloignées des véritables conditions du scénario envisagé, c'est-à-dire des poussières glacées bombardées par des UV polarisés.
La lumière est venue du Soleil
Le consortium réunissant plusieurs équipes françaises sous la direction de Louis d'Hendecourt, directeur de recherche CNRS à l'Institut d'astrophysique spatiale, s'est approché de ces conditions. On peut d'ailleurs voir Louis d'Hendecourt répondant à une question sur l'impact de sa discipline sur l'exobiologie, dans une vidéo de l'école d'exobiologie Exobio' 07 (voir ci-dessus).
Les chercheurs ont commencé par reproduire en laboratoire des corps glacés analogues des glaces interstellaires et cométaires. Ils les ont ensuite soumis à un rayonnement ultraviolet « polarisé circulairement » (UV-CPL) à l'aide des faisceaux disponibles au synchrotron Soleil.
L'analyse ultérieure de ces glaces a montré qu'elles contenaient un excès significatif d'un acide aminé chiral, l'alanine. Supérieur à 1,3 %, cet excès est comparable à celui mesuré dans les météorites primitives.
L'Année internationale de la chimie (AIC) commence donc par une découverte particulièrement intéressante. Elle apporte en effet du poids à la thèse voulant que l'homochiralité du vivant ne soit pas due au hasard mais bien à un mécanisme physique. Le rayonnement UV polarisé des étoiles massives présentes dans un amas ouvert (dans lequel est probablement né le Soleil) aurait bien favorisé cette homochiralité des molécules prébiotiques. Aujourd'hui, on observe d'ailleurs dans la nébuleuse d'Orion l'existence d'un rayonnement, infrarouge cette fois, polarisé circulairement dans le même sens que celui des expériences précédentes.
source : FUTURA SCIENCES 01.01.2018
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