30% des hommes pourraient violer une femme s’ils étaient sûrs de ne pas être poursuivis
Une récente étude montre qu’un tiers des hommes pourraient violer une femme s’ils étaient certains que la victime ne porte pas plainte.
Lorsque l’on banalise, tolère ou trouve des excuses aux violences sexuelles envers les femmes, cela s’appelle la culture du viol. Et elle a encore de beaux jours devant elle. Massil Benbouriche est docteur en psychologie et en criminologie. Pour les besoins de
sa thèse effectuée entre l’École de criminologie de l’Université de Montréal et du Centre de recherche en psychologie de l’Université Rennes 2, il a mené une étude expérimentale sur les agressions sexuelles. Son objectif ? Comprendre les effets de l’alcool et de l’excitation sur les coercitions sexuelles envers les femmes.
Pour cette étude réalisée au Québec, le jeune chercheur a réuni 150 hommes âgés de 21 à 35 ans. Parmi eux, 40% sont étudiants, 50% travaillent et les autres sont aux chômage. Une population générale, sans troubles mentaux et qui dit ne pas avoir commis d’agression sexuelle par le passé. Le chercheur a évalué leur profil psychologique et la façon dont ils perçoivent les femmes et le viol. Les hommes étaient ensuite répartis en deux groupes, un qui buvait de l’alcool pour arriver à un taux d’alcoolémie de 0,08% et un qui restait sobre. Ils étaient ensuite testés à reconnaître l’absence de consentement de la part d’une femme puis à nouveau répartis dans d’autres groupes. Cette fois-ci, un groupe était exposé à du contenu pornographique pour être excité sexuellement, l’autre non. Une étape non concluante d’après le chercheur.
Dernière étape, les participants écoutaient une bande audio: “Marie et Martin reviennent d’une soirée arrosée dans un bar. Ils s’installent sur le divan et commencent à s’embrasser. Lorsque Martin touche les seins de Marie et commence à essayer de la dévêtir, celle-ci émet de premières réticences. Martin se fait convaincant et s’ensuit un nouvel échange de baisers. Marie énonce de façon de plus en plus claire qu’elle ne veut pas avoir de relation sexuelle avec Martin, mais celui-ci poursuit ses avances”. L’enregistrement s’arrête juste avant que Martin ne viole Marie.
Consentement et culture du viol
S’en suivent des questions: Est-ce qu’elle est consentante ? A quel moment exprime-t-elle son refus d’avoir un rapport sexuel ? Comment auriez-vous fait pour avoir une relation sexuelle avec elle ? Lui auriez-vous menti, proposé un verre, poursuivi le contact physique ? 50% des hommes interrogés ont affirmé pouvoir user de ce genre de stratagèmes, avant de répondre à l’ultime question: “Si vous étiez absolument certain que Marie ne porte jamais plainte et que vous ne soyez jamais poursuivi, quelles seraient les chances d’avoir une relation sexuelle avec Marie alors qu’elle n’est pas d’accord ?”
En posant cette question, le chercheur évoque clairement les éléments constitutifs d’un viol, sans utiliser le mot. Résultat,
30% des 150 participants pourraient commettre un viol et ce pourcentage monte à 60 pour les individus qui adhèrent à la culture du viol et qui ont consommé de l’alcool. Des chiffres qui ont étonné le chercheur: “
Ces questions sont connotées socialement, même si on leur garantit l’anonymat, on peut s’attendre au fait qu’ils ne répondent pas. Pourtant, 30% d’entre eux répondent oui. Cela pose de vraies questions sur le laxisme et la permissivité ambiante sur l’agression sexuelle, de son traitement judiciaire au harcèlement de rue”.
La question utilisée pour ce volet sur le viol a été développée dans les années 1980 par un chercheur et a été très peu utilisée par la suite car considérée comme peu subtile et trop évidente pour que les participants y répondent par l’affirmative. Massil Benbouriche ajoute cette question à son étude en se disant qu’il n’a rien à perdre: “Ce qui est terrifiant c’est que presque 40 ans après la première étude, le résultat est similaire. A l’époque, entre 29 et 33% des participants répondaient oui. C’est très problématique en 2016, cela dit quelque chose sur l’état de la société”.
Le non-rôle de l’alcool
Cette expérience démonte aussi
le mythe du rôle de l’alcool dans une agression sexuelle. D’après Massil Benbouriche, 50% des agressions sexuelles impliquent de l’alcool, chez la victime, l’agresseur ou les deux. C’est pour cette raison qu’il a souhaité étudier son effet sur la perception du consentement sexuel et de l’absence de consentement. L’alcool influe-t-il sur l’utilisation d’une stratégie violente pour avoir des rapports sexuels sans consentement ? Le jeune chercheur répond par la négative:
“Contrairement aux croyances populaires, l’alcool n’a pas d’effet direct sur la perception du consentement et la violence. Sauf sur les gens qui adhèrent à cette culture. Pas chez les autres. Pour eux, la femme tient une part de responsabilité dans son viol. Les stratégies coercitives sont la manière dont les gens peuvent avoir un rapport sans consentement explicite. Ceux qui sont d’accord avec le mythe du viol et qui n’ont pas consommé d’alcool vont faire des promesses, tenter de manipuler, intoxiquer… dans le but d’obtenir un rapport. S’ils ont consommé de l’alcool, ils seront beaucoup plus enclins à utiliser la violence physique pour parvenir à leurs fins et donc commettre un viol”.
Ce n’est donc pas l’alcool qui cause les viols… mais bien la culture du viol. Les résultats de cette étude pourront avoir une implication en terme des politiques de prévention, car l’alcool ne fait pas basculer un individu qui n’adhère pas à la culture du viol. Ce n’est donc pas une circonstance atténuante pour un violeur. Tous les individus qui boivent ne commettent pas de violences sexuelles. “
C’est souvent mis en avant comme excuse, comme facteur atténuant pour se dédouaner devant la justice. Beaucoup de verdicts culpabilisent les femmes avec ça et donnent des peines très basses aux agresseurs” déplore le docteur.
Une trop maigre prévention
Pour le chercheur, ces résultats questionnent l’efficacité des programmes de prévention des agressions et des
pratiques patriarcales dispensés aux États-Unis: “
On prend des individus de 20 ans et on travaille une ou deux heures sur le consentement, le mythe du viol… Mais toutes ces idées sont enracinées là bien avant. Si on veut prévenir les violences, il faut travailler dessus avant l’âge de 20 ans et former l’étudiant à intervenir si il est témoin de violence sexuelle potentielle“.
Le travail de Massil Benbouriche réalisé l’année dernière a été défendu en thèse le 3 octobre. Une étude toute fraîche qui s’inscrit dans une période ou la culture du viol est de plus en plus dénoncée au Québec. Notamment depuis des agressions commises dans les résidences de l’université de Laval. D’après une tribune publiée dans le Huffington Post Québécois: “Une femme sur trois a été victime d’une agression sexuelle. Sur les quelque 4 millions de femmes au Québec, plus de 1,3 million ont subi une agression sexuelle“.
Une politique publique contre les violences faites aux femmes?
La culture du viol est définie par la militante féministe Caroline de Haas comme: “tous les éléments sociaux, linguistiques, médiatiques, publicitaires, politiques… qui tendent à banaliser les violences à l’encontre des femmes et à leur en faire porter la responsabilité“. Par exemple:
“Quand un conseiller du président dit que l’affaire Baupin était privée, quand une publicité Calvin Klein met en scène un viol collectif de manière soit disant “esthétique”, quand on dit “elle s’est fait violer”, alors que la victime n’a rien fait et qu’en disant cela, l’agresseur disparaît de notre langage… Cela relève de la culture du viol.”
Malgré tout, la militante s’est rendue compte au fil des années d’une augmentation de la mobilisation face aux comportements et aux propos sexistes. Pour elle, la meilleure réponse à apporter à ces chiffres passe par une politique publique, comme celle de la sécurité routière:
“En 20 ans, on a fait changer les mentalités sur un sujet qui concernait tout le monde, on a évité des milliers d’accidents de la route, il faut faire pareil pour les violences faites aux femmes. Cela passe par cinq éléments: l’impulsion politique, l’éducation, l’augmentation des sanctions, le recrutements de professionnels et la communication. Il faut que le président en parle, qu’on éduque les collégiens, que l’on augmente les délais de prescriptions sur ces violences, que l’on fasse de la détections systématique avec des personnes formées et que l’on fasse de grandes campagnes pour sensibiliser tout le monde, et pas seulement les femmes”.
SOURCE : Les inRocks 05.11.2016