L'ÉNERGIE NOIRE AURAIT RENDU POSSIBLE L'ÉVOLUTION DE LA VIE
En influant sur la formation des galaxies naines et des étoiles, l'énergie noire déterminerait la fréquence des sursauts gamma, lesquels mettent les biosphères en péril. Si elle était plus forte ou plus faible, l'univers serait peu favorable à la vie complexe.
Il y a presque deux ans, Tsvi Piran, de l’Hebrew University à Jérusalem, et Raul Jimenez, de l’université de Barcelone, s'étaient déjà penchés sur l’impact potentiel des sursauts gamma sur l’habitabilité à l’échelle des galaxies. Rappelons que ces sursauts sont considérés comme les phénomènes astrophysiques parmi les plus violents de l’univers. Ils ont été découverts à la fin des années 1960 par des satellites militaires épiant des tests d’armes nucléaires, qui ont repéré des flashes gamma d’une extraordinaire puissance.
Or, selon les calculs des deux chercheurs, ces rayonnements gamma peuvent dégrader dans une très vaste région de la galaxie la couche d’ozone des planètes possédant une atmosphèreressemblant à celle de la Terre. Sans ce bouclier protecteur, les rayons ultraviolets de leurssoleils peuvent sérieusement endommager ces biosphères avec comme conséquence desextinctions massives. C’est d'ailleurs peut-être ce qui s’est produit sur Terre pendant l’ordovicien il y a environ 450 millions d’années. Les biosphères les plus proches d’un sursaut gamma seraient stérilisées et, plus loin, elles pourraient être périodiquement ramenées à la case départ, c'est-à-dire à des formes de vie unicellulaires ou peu évoluées.
En se basant sur les modèles proposés pour expliquer la nature des sursauts gamma, à savoir des collisions d’étoiles à neutrons ou des hypernovae créées par l’effondrement gravitationnel en trou noir d’étoiles massives, Piran et Jimenez avaient estimé leur fréquence en les liant à l’évolution chimique des étoiles dans les galaxies. Ils en avaient déduit que durant 5 milliards d’années, les sursauts gamma avaient significativement inhibé l’apparition de la vie et surtout son évolution vers des formes complexes.
Les deux astrophysiciens viennent de réviser leurs travaux sous un nouvel angle, comme ils l’expliquent dans un article déposé sur arXiv. Il s’agit à nouveau de considérations qui relèvent de l’exobiologie mais avec une intersection surprenante avec la cosmologie. Apparitions fréquentes de biosphères complexes et sursauts gamma se retrouvent maintenant en relation avec la valeur de l’énergie noire. Selon Piran et Jimenez, si sa valeur était très différente, l'univers serait peu favorable à l’apparition de la vie.
Le prix Nobel de physique Steven Weinberg avait déjà compris dans les
années 1980 que la valeur de l'énergie noire devait être particulièrement
faible pour permettre à l'univers de former des galaxies et surtout des
étoiles durant suffisamment longtemps pour synthétiser des éléments
lourds comme le carbone, l'azote et l'oxygène ainsi que pour permettre
à la vie d'évoluer pendant des milliards d'années. © Cambridge University Press
L'énergie noire et le principe anthropique
Voilà un nouveau pavé dans la mare d’un débat qui a fait coulé beaucoup d’encre depuis les années 1980 environ, autour du principe anthropique. Celui-ci se décline essentiellement autour de deux formes, dites faible et forte. Dans la première, ce principe affirme simplement que la présence de la vie est une information intéressante à utiliser pour explorer la structure de notre univers car elle nous renseigne sur certaines propriétés de ses lois et de sa structure.
Le principe fort va beaucoup plus loin, supposant que l’univers est le produit d’une intention avec pour finalité l’apparition de la vie. Ses lois auraient été finement réglées pour qu'elle apparaisse. Cette dernière forme est rejetée par presque toute la communauté scientifique qui y voit un raisonnement circulaire et naïf, équivalant à déduire de la fréquente présence d’eau à proximité des peuplements humains qu'elle a été placée là intentionnellement pour étancher les soifs.
Reste qu'à défaut de supposer l’existence d’un multivers dans lequel certaines lois varieraient de façon aléatoire, il est permis de s’interroger sur ce qui apparaît comme un grand nombre de réglages fins qui semblent indispensables à l’apparition de la vie et à son évolution vers la complexité. On ne peut en fait rien dire de plus.
Des sursauts gamma essentiellement dans les galaxies naines satellites
Toujours est-il que Piran et Jimenez ont utilisé des simulations numériques, en particulier celle dite du Millénaire, pour estimer l’influence de la valeur de la constante cosmologique sur la formation des galaxies naines, satellites des plus grandes, comme la Voie lactée. Ces galaxies naines seraient des lieux privilégiés de l’occurrence des sursauts gamma menaçant la vie dans les bordures des grandes galaxies. La question se pose différemment, en effet, dans leurs régions internes, où les planètes sont exposées à des sursauts gamma plus fréquents.
Donc, s’il existe trop de galaxies naines, le taux de sursaut gamma est trop élevé pour permettre l’apparition de la vie. De plus, si, au contraire, de faibles variations de la constante cosmologique faisaient diminuer fortement le nombre de sursauts gamma, alors, selon les deux astrophysiciens, ce « réglage » ferait diminuer aussi la formation d’étoiles favorables à l’apparition et à l’évolution de la vie.
Formulé autrement, le taux d’expansion de l’univers et son accélération sont assez élevés pour inhiber la formation des sursauts gamma délétères à la vie mais assez bas pour qu'apparaissent des étoiles de type solaire ou des naines rouges avec des exoplanètes dans la zone d’habitabilité.
Personne ne peut vraiment dire ce que cela signifie pour le vieux problème philosophique de la place et du sens de la vie dans l’univers mais il apparaît maintenant qu'un univers avec une constante cosmologique nécessairement non nulle et positive semble un prérequis pour l'existence d'une vie complexe.
SOURCE : Futura Sciences 03.03.2016
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