L'ESCLAVAGE INSTITUTIONNALISÉ EN THAÏLANDE
En Thaïlande, les mauvais traitements sont endémiques de la société, selon Chatwadee Rose Amornpat, exilée en Grande-Bretagne.
Je me rappelle avoir vu récemment « La couleur pourpre », un film américain de 1985 qui raconte la vie d’une femme afro-américaine pauvre, Celie Harris. À l’âge de 14 ans, elle est sexuellement agressée à maintes reprises par son propre père et plus tard forcée d’épouser un jeune veuf aisé du coin qui la traite comme une esclave. Le film mettait en évidence les problèmes auxquels étaient confrontées les femmes afro-américaines au début des années 1990, y compris la pauvreté, le racisme et le sexisme.
Celie Harris m’a rappelé l’histoire vraie d’une amie d’enfance, Jaa, vendue par sa mère qui vivait dans la misère à Korat dans le nord-est du pays. J’étais élevée en Thaïlande quand j’ai rencontré Jaa la première fois. Elle faisait la vaisselle à la cuisine dans la maison d’un ami de l’école primaire, Mali.
En revoyant le passé, je réalise maintenant que Jaa était une enfant esclave. Je me suis liée d’amitié avec elle parce que nous étions proches en âge. Je me suis souvent demandée pourquoi Jaa devait faire ces travaux ménagers fastidieux alors que les filles de son âge partaient chaque jour à l’école de bonne heure.
Défiant la mère de Mali qui m’a souvent dit de ne pas parler à Jaa, je l’ai traitée comme une amie. Je lui rendais visite dans le débarras bien rangé où la mère de Mali lui avait installé un matelas troué. Je n’avais pas alors conscience du problème de l’esclavage des enfants parce que j’étais moi-même une enfant.
Un esclave dans presque chaque foyer
Mais en Thaïlande, dans presque chaque famille aisée, il y a un ou plusieurs domestiques enfants qui sont à peine plus que des esclaves. La société thaïlandaise nomme les filles comme Jaa des Khun Chaai ou servantes, terme qui, me semble-t-il maintenant, ne diffère en rien de celui d’enfant-esclave.
En Thaïlande, dans presque chaque famille aisée, il y a un ou plusieurs domestiques enfants qui sont à peine plus que des esclaves.
J’ai grandi dans une famille royaliste et tous mes amis sont royalistes, ou l’étaient. Je me suis souvent demandée ce qu’il était advenu de Jaa. Elle a été privée de son enfance par l’injustice d’un système politique et social méprisable qui doit être changé. Elle n’est jamais allée à l’école. Elle n’a jamais appris à lire le thaï ni eu le plaisir de jouer avec des amis de son âge dans une cour d’école. Son enfance a été perdue et probablement aussi sa jeunesse. Elle a dû en permanence obéir aux ordres de sa maitresse thaïe.
Jaa se levait au plus tard à 5 heures du matin pour préparer le petit-déjeuner de la famille. Toute la journée, du matin au soir, sans repos, elle œuvrait aux tâches ménagères. À plusieurs reprises, j’ai remarqué que la mère de Mali la réprimandait parce qu’elle ne faisait pas son travail assez vite. Au fond de moi, j’ai souvent maudit cette mère mais n’ai rien pu faire pour aider Jaa.
Les enfants esclaves sont omniprésents en Thaïlande, dans les familles ordinaires comme celle de Mali, les commerces familiaux, les industries légères allant des produits alimentaires à la fabrication de petits articles.
Si vous passez dans une soi, une petite rue à l’écart de la rue principale, chaque magasin des deux côtés de la rue a des enfants esclaves. Malgré les lois interdisant le travail des enfants, celles-ci restent largement inappliquées.
Pas de problème avec la police
Durant les dernières décennies, j’ai vécu au Royaume-Uni. Lors de ma dernière visite en Thaïlande, avant d’être accusée de lèse-majesté pour avoir prétendument insulté la famille royale, j’ai demandé à un propriétaire de magasin qui fait des desserts pour les restaurants des hôtels locaux s’il craignait d’être arrêté pour avoir recours au travail des enfants. Sa réponse fut un non catégorique. Les flics thaïs, m’a-t-il dit, sont facilement corrompus.
La plus grosse industrie de l’esclavage est l’exploitation sexuelle des femmes, principalement originaires de l’Isaan, le nord et le nord-est du pays où sévit la misère. Les parents pauvres sont souvent contactés par un Nah Ma, intermédiaire/recruteur supposé engager leurs filles pour travailler à Bangkok. Le Nah Ma ne dit pas la vérité ni qu’en fait les filles, surtout celles qui sont jolies, sont vendues pour la prostitution ou les salons de massage. Les moins mignonnes sont vendues pour du travail manuel aux magasins ou aux ménages.
Des amies sont parties avec moi à l’université de Bangkok, mais faute d’avoir trouvé un emploi décent, elles ont fini dans l’industrie du sexe afin d’aider leurs parents à joindre les deux bouts. Même quand elles trouvaient un travail dans les bureaux, les employeurs potentiels ne leur offraient que des salaires tellement bas qu’ils n’auraient même pas suffi à payer le loyer et les services publics. Maintenant, je sais pourquoi les femmes thaïlandaises sont obligées de gagner leur vie dans l’industrie du sexe : le système social et politique barbare ne leur donne pas le choix.
Les sanctions et les boycotts sur les exportations thaïes doivent continuer tant que perdurera la loi de Lèse Majesté.
Les émissions de propagande tous les soirs à la télévision sur la famille royale, qui montrent une génération de petits-enfants du roi dont prennent soin des dames d’honneur, des gardes et des serviteurs royaux, sont une parodie. Les serviteurs ne sont pas différents de mon amie Jaa, qui a dû lutter pour rester en vie et ne pas se faire houspiller ou être battue par sa mère.
L’esclavage dans l’industrie de la crevette
Les récentes nouvelles relatives au trafic humain des travailleurs migrants dans l’industrie de la crevette thaïlandaise ne sont que le sommet de l’iceberg. De nombreux transformateurs de fruits de mer à grande échelle partagent leurs intérêts avec la Direction Générale des Biens de la Couronne, la branche spécialisée dans l’investissement de la famille royale. Leurs collaborateurs, responsables de l’armée et de la police, servent de protecteurs.
Quand le Département d’État américain a publié son rapport de 2014 sur les violations des droits humains, il a rétrogradé la Thaïlande au niveau le plus bas possible après que le pays a atteint la limite des dérogations et échoué à montrer des améliorations significatives.
Maintenant la Thaïlande est dans la catégorie 3 du Département d’État avec 22 autres pays, au même niveau que la Corée du Nord, la Syrie et la République de Centre Afrique.
Les sanctions et les boycotts sur les exportations thaïes doivent continuer à moins que ne soit abrogée la loi de lèse-majesté pour que le peuple puisse librement discuter des questions touchant à la monarchie sans craindre de représailles. Avec une telle loi protégeant le roi et son empire, ces derniers peuvent faire tout ce qu’ils veulent pour ruiner le pays et sa population. Esclaves thaïs, exploitation des femmes, des enfants et des travailleurs sur les thoniers, tout cela continuera à prospérer.
Traduction : Édith Disdet
Source : Chatwadee Rose Amornpat / Asia Sentinel Thailand Institutionalized Slavery
Photo : Paul Sullivan / Flickr
Source : Chatwadee Rose Amornpat / Asia Sentinel Thailand Institutionalized Slavery
Photo : Paul Sullivan / Flickr
* En Thaïlande, elle risque 100 ans de prison pour propos « anti-monarchiques », suite à une dénonciation de ses propres parents. Elle vit en Grande-Bretagne depuis 11 ans.
SOURCE : Alter Asia 30.01.2016
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