LE TORCHON BRÛLE ENTRE ROME ET BRUXELLES
Matteo Renzi se rebelle contre une Europe qu'il considère aux ordres de l’Allemagne.
Contentieux sur plusieurs dossiers, polémiques sur la gouvernance de l’Union, inimitiés personnelles: rien ne va plus entre Matteo Renzi et Jean-Claude Juncker. Le ton feutré de la diplomatie a laissé place aux phrases vachardes. «Le président du Conseil italien a tort de critiquer la Commission à tous les coins de rues, l’atmosphère entre la Commission et l’Italie n’est pas au beau fixe», a déclaré Jean-Claude Juncker. «Bruxelles ne peut pas se comporter comme une maîtresse d’école qui donne des leçons à l’Italie, les règles doivent être égales pour tous», a répondu Matteo Renzi.
Deux poids, deux mesures
Plusieurs différends portent sur la question de l’immigration. L’Italie a ainsi traîné des pieds avant de verser sa part, 221 millions d’euros, des 3 milliards qui seront donnés par l’UE à la Turquie pour qu’elle accueille les migrants syriens et les empêche de passer en Allemagne. Rome refuse de faire un chèque en blanc à Ankara et ne comprend pas pourquoi l’Union devrait, à la demande de l’Allemagne, financer les migrants en Turquie et se désintéresser de ceux qui débarquent en Sicile. En outre, l’Italie exige que ses dépenses engagées pour répondre à la crise de l’immigration, 3,3 milliards d’euros, ne soient pas comptabilisées dans son déficit. Une somme dont Matteo Renzi a absolument besoin pour financer les promesses de baisses d’impôt qu’il a faites sans augmenter le déficit italien.
Derrière cette bataille de chiffres, s’opposent deux conceptions de la politique financière qui divisent l’Europe: la rigueur prônée par les pays du Nord contre la flexibilité demandée par les pays du Sud. Une question épineuse, alors que Rome risque l’ouverture d’une procédure d’infraction pour excès de déficit.
Autre sujet qui fâche: l’hypothèse d’instituer un «mini-Schengen» qui associerait l’Allemagne, le France, l’Autriche, le Luxembourg et la Belgique. Cet espace de libre circulation excluant l’Italie bloquerait dans la péninsule les migrants qui arrivent sur ses côtes et souhaitent gagner l’Europe du Nord.
Toute puissante Allemagne
La querelle des gazoducs fait également rage entre Bruxelles et Rome. Berlin a obtenu l’agrément de la Commission pour la construction du North Stream, qui portera le gaz de la Russie à l’Allemagne et sera réalisé par des entreprises allemandes. En revanche, le South Stream, qui devait relier la Russie à l’Italie et être construit par des entreprises italiennes, a été bloqué au nom des sanctions économiques contre Moscou. Enfin, dernier dossier épineux: le refinancement des banques italiennes. L’Union refuse que des fonds publics recapitalisent les banques transalpines en difficulté alors que l’Allemagne, en vertu de règles qui ont été changées depuis, a été autorisée à le faire.
Pour Matteo Renzi, il y aurait donc deux poids, deux mesures en Europe. Le couple franco-allemand, dominé par la chancelière Merkel, dicte ses volontés à Bruxelles. Il en veut pour preuve les rencontres bilatérales entre Paris et Berlin qui précèdent pratiquement tous les sommets européens. «Basta de cette Europe aux ordres de l’Allemagne, a déclaré le président du Conseil. Nous ne nous ferons plus intimider.» Et il a remplacé l’ambassadeur d’Italie auprès de l’Union européenne Stefano Sannino par Carlo Calenda. Le premier, diplomate de carrière, était jugé trop complaisant envers la Commission. Alors que le second, responsable politique proche de Matteo Renzi, a la réputation d’être… un rottweiler de la négociation.
SOURCE : La Tribune de Genève 02.02.2016
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