MÉDECINS, BANQUIERS... CES MÉTIERS QUI POURRAIENT BIENTÔT ÊTRE "UBERISÉS"
Quelles sont les professions susceptibles d'être "uberisées" au cours des prochaines années ? Olivier Ezratty, spécialiste du sujet, revient sur un phénomène amené à encore se développer.
Médecins, plombiers, banquiers… le spectre de "l’uberisation" - la transformation rapide d’un secteur professionnel suite à une innovation technologique - plane sur de nombreuses professions.
Olivier Ezratty, conseil en stratégies de l’innovation et spécialiste du sujet, revient sur les domaines qui pourraient être chamboulés dans les prochaines années.
Peut-on prévoir quels secteurs sont susceptibles d’être "uberisés" ?
- La meilleure manière de prévoir les domaines qui risquent d’être uberisés consiste à identifier ceux qui génèrent de l'insatisfaction client. Les consommateurs sont de plus en plus exigeants : ils cherchent notamment à gagner du temps, une qualité de service, un choix, des prix raisonnables et prédictibles, qu'ils estiment correspondre à la prestation demandée.
L’insatisfaction peut par exemple tenir aux délais d’attente de consultation de certains médecins ou à la difficulté d’accéder à certains types de service. C’est le cas notamment des services à domicile (réparateurs, plombiers).
Le client cherche des prestataires fiables, éventuellement évalués par d'autres consommateurs, facilement et rapidement. Ces métiers sont susceptibles d’être désintermédiés par des plateformes d’évaluation comme Quotatis.
Une catégorie de métiers est-elle particulièrement visée ?
- L’uberisation touche au moins deux catégories d'acteurs : les grandes entreprises et les métiers de service issus de professions libérales. Elle émerge surtout dans des situations de quasi-monopole, comme les taxis. Dans un marché régulé par la pénurie, dès que la technologie permet d'élargir l'offre, le poids économique des acteurs en place est forcément menacé.
Le phénomène est en cours depuis dix ans dans le monde de l’hôtellerie, avec l’émergence de sites comme Booking, qui sont des intermédiaires entre le client et l’entreprise : ils jouent un rôle critique dans les marchés dont l'offre est très fragmentée. Les banques et les assurances sont aussi concernées avec l'émergence de comparateurs de services ou de plateformes entièrement numériques, sans la moindre agence physique.
On peut également citer les métiers de services dans le domaine de l’aide à la personne : les sites permettant de trouver une nounou ou des cours particuliers sont déjà en train de se multiplier. Il s'agit cependant de services proposés par des particuliers à temps partiel et en complément éventuel d'une autre activité, comme dans le cas d'Uber Pop, qui ne doit pas être confondu avec Uber, dont le service est fourni par des conducteurs professionnels.
Le site américain "Rate my professors" permet de noter ses professeurs et d'établir des classements. (capture d'écran)
L’uberisation repose-t-elle forcément sur une innovation technologique et l’émergence d’un intermédiaire ?
- La plupart des cas de figure combinent les deux, ce qui est logique puisque le numérique est idéal pour mettre en relation une offre et une demande en volume, en particulier à partir des smartphones.
Aux Etats-Unis, on utilise des plateformes pour noter les professeurs depuis près de dix ans : cela permet aux parents d’avoir une idée des établissements où ils souhaitent placer leurs élèves. Mais il est difficile d'imaginer cela en France en l'état.
Evidemment, les métiers professionnels - comme dans la santé - ne peuvent pas être remplacés par des particuliers, mais ils peuvent voir émerger des intermédiaires.
Les médecins sont-ils particulièrement concernés ?
- Ils risquent d’être "uberisés" à plusieurs titres : par l’émergence d’intermédiaires sur internet et par la numérisation d'une partie de leur valeur ajoutée dans des objets connectés et des logiciels.
Aujourd’hui, très peu de médecins ou d'hôpitaux proposent la prise de rendez-vous par internet : ils partagent pour la plupart une secrétaire téléphonique, ce qui génère une perte de temps considérable pour les patients. Il faut parfois des heures pour obtenir un rendez-vous, alors qu’il existe des systèmes de réservation en ligne, provenant notamment de start-up françaises, comme Doctolib.
Un autre phénomène devrait se développer dans les années à venir : la numérisation d’une partie des services. Le savoir des médecins pourra par exemple être déplacé dans les objets connectés, pour mesurer soi-même sa tension, son rythme cardiaque et réaliser diverses analyses de laboratoire. Mais aussi pour obtenir un pré-diagnostic à l'aide de logiciels et bases de connaissances en ligne : c'est ce que propose déjà IBM dans certains cas médicaux.
Cette numérisation partielle de métiers existants pourrait aussi toucher les experts comptables, les notaires et même les avocats. Cette évolution de l’homme vers la machine a déjà touché les agences bancaires : en 15 ans, avec les comptes en ligne et les distributeurs automatiques, une bonne partie du travail dans les agences a été transférée vers les logiciels et les clients.
Comment lutter contre ce phénomène d’uberisation ?
- En règle générale, il faut innover rapidement et avant que d'autres le fassent à votre place ! Mais, dans tous les cas de figure, l’union fait la force, soit à l’intérieur de l’entreprise, lorsque celle-ci propose de remédier aux difficultés des clients, soit à l’extérieur, quand une autre entreprise propose de résoudre ces problèmes. Aujourd’hui, malheureusement, ça vient plutôt de l’extérieur.
Il y a donc deux possibilités : soit des entreprises s’interposent entre le producteur et le client pour offrir une solution aux clients mécontents, soit le producteur lui-même décide de lutter contre cette insatisfaction en proposant sa propre solution.
Le groupe Accor se bat par exemple à la fois contre les systèmes de réservation comme Booking et l'économie collaborative promue par Airbnb en proposant un système de réservation qui inclut désormais des hôtels extérieurs au groupe.
C’est évidemment plus compliqué pour les professions libérales, comme les médecins, qui devraient mettre en place chacun de leur côté leur propre application de prise de rendez-vous. C’est donc l’occasion pour les fédérations professionnelles de jouer un rôle essentiel pour l’ensemble du secteur concerné : dans les secteurs fragmentés, l'union doit faire la force.
Les mouvements de contestation des domaines concernés, comme les taxis, sont-ils productifs ?
- Bien au contraire ! Les chauffeurs de taxi ont lancé le pire plan de communication possible contre Uber. Leur grosse erreur stratégique consiste à s’appuyer uniquement sur la loi, en se protégeant derrière les textes, sans jamais parler du client alors qu’il est au centre du problème.
Leur raffut est sur le moyen terme le meilleur service à rendre à Uber, qui compte déjà un million de clients en France ! C’est une situation semblable à la révolte des luddites en Grande-Bretagne, fin 18ème-début 19ème siècle, en pleine révolution industrielle, lorsque les artisans du tissage se sont mis à brûler les machines à tisser émergentes. A l'époque, le gouvernement britannique avait maté cette révolte. Le pays est devenu leader de la révolution industrielle, notamment dans la production de machines à tisser.
Le gouvernement aurait donc plutôt intérêt à soutenir l'innovation ?
- Le gouvernement français est schizophrène : au moment même où Axelle Lemaire et Emmanuel Macron sont à New York pour promouvoir la "french tech" auprès des investisseurs américains, il soutient les taxis qui bloquent les routes et brûlent des pneus, sans mettre en avant le besoin d'innovation propre au secteur ni tenir compte des consommateurs.
Il devrait trouver le moyen d'être plus cohérent et de penser plus au long terme. D'autres métiers seront affectés par le numérique. Il faut s'y préparer et notamment continuer de favoriser l'éclosion de champions locaux : il vaut mieux que les disruptions viennent de chez nous que des Etats-Unis !
Il devrait trouver le moyen d'être plus cohérent et de penser plus au long terme. D'autres métiers seront affectés par le numérique. Il faut s'y préparer et notamment continuer de favoriser l'éclosion de champions locaux : il vaut mieux que les disruptions viennent de chez nous que des Etats-Unis !
SOURCE : L'OBS
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